WHEN MAURICE MEETS ALICE
à la mémoire de mes parents
(Paroles : H.-F. Thiéfaine – Musique : Philippe Paradis)
Beaucoup de mes formules ignares
Flottent au dessus de vagues hospices
Derrière les écluses & les gares
Derrière les glands des frontispices
Où les amants d’une autre guerre
Ont joué sur d’autres marelles
Un pied sur le continent terre
& l’autre sur l’écran du ciel
When maurice meets alice
Ils étaient sortis de l’enfance
Comme des fantômes d’un vestibule
Avec un fichier sur leurs chances
& des fleurs sur leurs matricules
Elle était belle comme un enfer
Avec ses yeux bleus d’insomnie
Il était fort comme l’est un père
Quand on le regarde petit
When maurice meets alice
Elle, elle était surtout fortiche
Pour faire les mômes & les aimer
Lui, il rallumait sa cibiche
Avant de partir pour pointer
& nous on était la marmaille
Disciplinée mais bordélique
A les emmerder vaille que vaille
Pour les rendre plus prophétiques
When maurice meets alice
Et puis il y a cette chanson à la mémoire de vos parents.
J’ai écrit des chansons sur les personnages féminins de ma vie et sur mes enfants, mais rien sur mes parents. Beaucoup de gens pensent qu’à cause du prénom Hubert Félix – qui est un canular – je viens de la haute. Avec When Maurice meets Alice , j’ai remis les choses en place. Pendant cette période où j’étais allongé, j’ai pensé particulièrement à eux.
Tribune de Genève – Octobre 2005
Il y a une chanson inattendue sur votre album, en hommage à vos parents : When Maurice Meets Alice. Comment est venue cette idée ?
Je n’ai jamais d’idée de chanson. Je les écris vers 3 ou 4 heures du matin. Elles viennent de mes sentiments, pas de mes barrières cartésiennes. Elles sortent quand je me laisse aller, quand je casse ma raison. Ce titre, When Maurice Meets Alice, traîne depuis quinze ans dans mes brouillons. Et comme je ne vais jamais sur la tombe de mes parents, c’était une façon d’y aller.
Pourquoi n’y allez-vous jamais ?
Le passé ne me regarde pas. Je ne dis pas cela pour le renier. Je suis un enfant qui aime ses parents. Mais je n’ai pas envie de tomber dans un sentimentalisme à la con. De même, quand je dis de ma mère qu’elle était« belle comme un enfer avec ses yeux bleus d’insomnie », je sais bien que tout le monde va me tomber dessus. Mais peu importe. Je veux pouvoir m’exprimer en enlevant toutes les possibilités d’expression que l’on m’a inculquées avant. J’ai décidé d’avoir le monde entier contre moi.
Témoignage Chrétien – 17 Novembre 2005
La chanson qui vous rappelle d’où vous venez ?
D’où je viens ? Je ne suis pas sûr de saisir votre question. Est-ce qu’on parle des dinosaures ? Ou alors de religion ? Ou bien encore du milieu social où j’ai grandi ? Lorsque j’étais enfant, on ne nous parlait pas des dinosaures – ils n’étaient pas encore ces jouets qui s’entassent dans les chambres des enfants.
D’où je viens ? D’un milieu ouvrier et catholique. Et dans les années 50, à Dole, ce n’était pas banal. Généralement, lorsqu’on était ouvrier, on était communiste. Il y avait une séparation franche entre ceux qui étaient chez les « cathos » et ceux qui étaient chez les « cocos ». Et pas mal de venin entre les deux camps. Eux ne mettaient pas une belle chemise le dimanche…
Mon père était ouvrier typographe. Il a travaillé dans la même usine d’étiquetage durant quarante ans, jusqu’au moment où elle a fermé. « Quarante ans, sans jamais tomber malade », était-il fier de dire. Avant qu’une série d’accidents ne les fassent basculer dans le monde ouvrier, mes parents venaient de milieux plutôt aisés, surtout ma mère.
Mon grand-père maternel avait été précepteur à la cour de Bosnie-Herzégovine, avant de revenir en France pour travailler comme cadre supérieur dans une usine de textile. Malheureusement il est mort très jeune, quand ma mère avait 7 ans. Elle a dû se mettre à travailler à 14 ans, dans la même usine que mon père, embauché au même âge. Par la suite, elle est restée à la maison pour élever ses six enfants. Elle enseignait le cathéchisme. J’ai écrit une chanson, When Maurice meets Alice, où j’évoque leur rencontre…
Telerama – 27/11/2017
Le titre est un clin d’œil au film “Quand Harry rencontre Sally”. J’avais envie de raconter l’histoire de mes parents, des gens courageux, venant d’un milieu modeste, qui voulaient que leurs six enfants s’élèvent. Ils ont tous trouvé une place intéressante dans la société, à part celui qui est chanteur, bien sûr ! [Il rit.] J’avais envie de rendre hommage à ce couple qui était à l’usine à 14 ans, qui avait une vision nietzschéenne de la vie. Ma mère était une vraie maman poule ; mon père, lui, roulait du gris. C’est une chanson nouvelle pour moi parce que c’est la première fois que je me tourne vers ce passé qui m’emmerdait. Mais en vieillissant le futur se réduit, on commence à avoir des souvenirs qui se perdent. Alors on essaie de faire revenir les meilleurs à la surface.
Paris Match – 01/12/2017