En remontant le fleuve

EN REMONTANT LE FLEUVE

(Paroles et musique : H.-F. Thiéfaine)

En remontant le fleuve au-delà des rapides
Au-delà des falaises accrochées sur le vide
Où la faune et la flore jouent avec les langueurs
De la nuit qui s’étale ivre de sa moiteur
En remontant le fleuve où d’étranges présences
Invisibles nous guettent et murmurent en silence
Où sales et fatigués sous les ombres englouties
Nous fixons les lueurs d’un faux jour qui s’enfuit
En remontant le fleuve

En remontant le fleuve au-delà des rapides
Au-delà des clameurs et des foules insipides
Où nos corps épuisés sous la mousse espagnole
Ressemblent aux marbres usés brisés des nécropoles
nautoniers des brumes dans l’odeur sulfureuse
Des moisissures d’épaves aigres et marécageuses
Nous conduisons nos âmes aux frontières du chaos
Vers la clarté confuse de notre ultime écho
En remontant le fleuve

En remontant le fleuve au-delà des rapides
Au-delà des aveux de nos désirs avides
Jusqu’au berceau final sous les vanilles en fleurs
Jusqu’à l’extrême arcane jusqu’à l’ultime peur
En remontant le fleuve vers cette éternité
Où les dieux s’encanaillent en nous voyant pleurer
Où les stryges en colère au sourire arrogant
Manipulent les rostres de notre inconscient
En remontant le fleuve

En remontant le fleuve au-delà des rapides
Au-delà des remous, de nos sanglots stupides
Où cruels et lugubres au bout des répugnances
Nous fuyons les brouillards gris de notre impuissance
Vers les feux de nos doutes jusqu’au dernier mensonge
Dans la complexité sinistre de nos songes
Où de furieux miroirs nous balancent en cadence
La somptueuse noirceur de nos âmes en souffrance
En remontant le fleuve


« … ein Weisensteinchen, flussaufwärts, die Zeichen zuschanden-gedeutet… »
(« … infime caillou philosophal, en remontant le fleuve, les signes interprétés  à mort, à néant… »)
Paul Celan


Elle fait partie de mes chansons préférées parce que c’est une maquette que j’ai donnée à mon fils Lucas. Il a bricolé des arrangements et le résultat m’a impressionné. Il avait capté cette moiteur que j’imaginais. Et c’est de là qu’est partie notre aventure commune. Il m’a récemment confié que c’était son rêve depuis l’âge de 5 ans. Moi, à bientôt 70 ans, je suis entré dans cette phase de ma vie où l’on est plus proche de la fin que du début. J’ai encore envie de jouer avec les mots, d’inventer des choses. J’ai compris qu’il fallait éviter les situations de conflit, qui ne m’ont jamais apporté de choses positives. Et j’espère que cela durera encore le plus longtemps possible.
Paris Match – 01/12/2017