Paul VERLAINE (1844-1896)

Paul Verlaine est né le 30 mars 1844 à Metz.

A l’âge de 16 ans, il découvre Baudelaire et l’absinthe. Après une bonne scolarité, il obtient son baccalauréat, s’inscrit en droit, fréquente les cafés et salons littéraires parisiens et renonce finalement à ses études car c’est la poésie qui l’attire.

En 1866, il collabore au premier recueil du Parnasse contemporain avec trente-six autres poètes, dont Charles Baudelaire, Henri Cazalis, François Coppée, Théophile Gautier, Stéphane Mallarmé, Albert Mérat, Sully Prudhomme ou Auguste Villiers de l’Isle-Adam.

Il publie également les Poèmes saturniens (1866) et Fêtes galantes (1869). Son œuvre ne souleva aucun enthousiasme chez le public et laissa la critique plutôt froide, sinon hostile. On reprocha à l’auteur sa tendance à l’affectation et à l’outrance, son goût de la bizarrerie prosodique et de la désarticulation du vers.

Suivre le jeu d’une étamine
Sur un oeillet violet
Qui s’entrouvre et qui s’illumine
D’une larme de lait

La rencontre de Rimbaud en 1871 bouleverse sa vie : les deux poètes, qui vivent une relation passionnée, partent en Angleterre et en Belgique. En juillet 1873, lors d’une dispute à Bruxelles, Verlaine tire sur son ami Rimbaud et le blesse d’une balle au poignet. Il passe deux années en prison où il écrit Romances sans paroles (1874), le plus réussi de ses recueils. Libéré, il se retrouve seul, sa femme Mathilde Mauté ayant obtenu la séparation de corps.

En 1876, Verlaine, Charles Cros et Mallarmé, jugés trop à contre-courant de leur siècle, sont exclus du Parnasse contemporain.

En mars 1884, Verlaine publie un essai, Les poètes maudits, qui contribue à le faire connaître. Avec Mallarmé, il est traité comme un maître et un précurseur par les poètes du symbolisme et par les décadents.

À partir de 1887, sa célébrité est incontestable mais il mène une vie de débauche (alcool, etc.) et séjourne régulièrement à l’hôpital…

Il meurt dans un certain dénuement le 8 janvier 1896 d’une congestion pulmonaire. Le faire part de décès sera rédigé par son éditeur Léon Vanier et édité par la Maison Henri de Borniol.


Quelques poèmes saturniens de Paul Verlaine à découvrir :

FEMME ET CHATTE

Elle jouait avec sa chatte,
Et c’était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S’ébattre dans l’ombre du soir.

Elle cachait – la scélérate ! –
Sous ses mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d’agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.

L’autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n’y perdait rien…

Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien
Brillaient quatre points de phosphore.

SUB URBE

Les petits ifs du cimetière
Frémissent au vent hiémal,
Dans la glaciale lumière.

Avec des bruits sourds qui font mal,
Les croix de bois des tombes neuves
Vibrent sur un ton anormal.

Silencieux comme des fleuves,
Mais gros de pleurs comme eux de flots,
Les fils, les mères et les veuves,

Par les détours du triste enclos
S’écoulent, –- lente théorie, –-
Au rythme heurté des sanglots.

Le sol sous les pieds glisse et crie,
Là-haut de grands nuages tors
S’échevèlent avec furie.

Pénétrant comme le remords,
Tombe un froid lourd qui vous écoeure
Et qui doit filtrer chez les morts,

Chez les pauvres morts, à toute heure
Seuls, et sans cesse grelottants,
–- Qu’on les oublie ou qu’on les pleure ! –-

Ah ! vienne vite le Printemps,
Et son clair soleil qui caresse,
Et ses doux oiseaux caquetants !

Refleurisse l’enchanteresse
Gloire des jardins et des champs
Que l’âpre hiver tient en détresse !

Et que, –- des levers aux couchants, –-
L’or dilaté d’un ciel sans bornes
Berce de parfums et de chants,

Chers endormis, vos sommeils mornes !

SÉRÉNADE

Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.

Ouvre ton âme et ton oreille au son
De ma mandoline :
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.

Je chanterai tes yeux d’or et d’onyx
Purs de toutes ombres,
Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx
De tes cheveux sombres.

Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.

Puis je louerai beaucoup, comme il convient,
Cette chair bénie
Dont le parfum opulent me revient
Les nuits d’insomnie.

Et pour finir, je dirai le baiser
De ta lèvre rouge,
Et ta douceur à me martyriser,
–- Mon Ange ! –- ma Gouge !

Ouvre ton âme et ton oreille au son
De ma mandoline :
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.


SONNET DU TROU DU CUL

Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au coeur de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
À travers de petits caillots de marne rousse
Pour s’aller perdre où la pente les appelait.

Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C’est l’olive pâmée, et la flûte caline ;
C’est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !

Paul Verlaine & Arthur Rimbaud

Co-écrit par Verlaine (les deux quatrains) et Rimbaud (les deux tercets), il s’agit d’une parodie Zutique du recueil de sonnets impeccablement hétérosexuels qu’Albert Mérat avait consacrés à la beauté du corps féminin (Sonnet du front, Sonnet des yeux, Sonnet des fesses, Sonnet du …, Dernier sonnet).

A la suite de la publication du Sonnet du trou du cul, Albert Mérat refusa de poser aux côtés de Verlaine, Rimbaud et des « Vilains Bonshommes » sur le tableau « Le Coin de Table » de Henri Fantin-Latour, conçu au départ comme un hommage à Baudelaire.
Il fut remplacé par … un pot de fleur.